les Etats-Unis, et l'U.R.S.S. Le caractère dualiste de cette partition du monde en deux blocs, où s'affrontent deux systèmes politico-économiques opposés, est nettement perceptible par la création de deux structures militaires de défense : l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, créée le 4 avril 1949, rassemble les pays de l'Ouest sous influence américaine), et le PACTE DE VARSOVIE, créé en réponse à l'OTAN  (le 14 mai 1955, rassemble principalement les pays d'Europe de l'Est).
Néanmoins, à partir du 25 mars 1957, date de signature du traité de Rome instituant la Communauté Economique Européenne, l'Europe Occidentale s'inscrit sur la scène internationale comme une nouvelle entité économique et politique. Sa puissance potentielle en fait un nouvel acteur incontournable du système monde. Le jeu des rapports de force est ainsi rendu plus complexe par l'émergence d'un nouveau pôle régional dans l'espace géographique européen. S'il est pour l'instant secondaire, sa structuration se précise assez rapidement. Bien des schémas tracés sur les plans de la victoire par les deux grandes puissances tendent tangiblement à être modifiés. Ils l'ont été plus rapidement à l'Est sous la pression d'une crise sans précédent depuis les heures les plus sombres de l'ère soviétique. Le pacte de Varsovie est devenu caduque… La crise du Kosovo et la récente adhésion à l'Otan de pays Est-européens jadis placés sous la tutelle de Moscou nous le rappellent…
Ainsi, jusqu'à la fin des années 80, et plus particulièrement jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989, les intérêts géopolitiques et stratégiques des différents acteurs du système mondial se trouvaient pour la plupart bloqués par la situation de confrontation Ouest/Est. Le 21 décembre 1991 l'URSS disparaît pour laisser place à la CEI (Communauté des Etats Indépendants), structure dans laquelle les pays d'Europe Centrale ne sont pas intégrés. Cette situation laisse donc le champ libre au jeu complexe des rapports de forces entre les intérêts divergents d'une puissance dominante - les Etats Unis - et d'une puissance émergente - la Communauté Economique Européenne  -, face à un adversaire affaibli par la désintégration de son espace d'influence. En raison de la disparition de l'adversaire soviétique, la structure du système mondial est maintenant centrée sur un pôle unique : l'Amérique du Nord.
A plusieurs titres, la guerre au Kosovo représente "une première" qui augure une nouvelle ère dans les relations internationales. Elle est annonciatrice de tendances qui marqueront l'Europe du vingt-et-unième siècle - des tendances "d'après guerre froide". Le sacro-saint principe de la souveraineté des états est un peu plus ébranlé. Dans la nuit du vendredi 2 au 3 avril, une grande capitale européenne a subi un bombardement aérien pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Aussi, l'OTAN, qui a été constituée dans le cadre d'une volonté défensive, a fait usage de la force contre un état souverain, qui est de surcroît un ancien membre du Pacte de Varsovie.
La Russie dans ce contexte ne dispose d'aucune marche de manouvre réelle. Elle ne peut que condamner officiellement les frappes aériennes, et symboliquement déployer quelques bâtiments de guerre en mer Adriatique. En effet, depuis la dissolution de l'URSS, l'objectif de la politique extérieure russe est de réunir au plus vite les conditions du passage à une économie de type ouest européen. Cela passe par une intégration aux organisations européennes et une meilleure participation aux décisions des organisations internationales, notamment à l'O.N.U. dont la Russie entravait les interventions directes par un usage quasi-systématique de son droit de véto au Conseil de sécurité. Le déplacement des contacts politiques de ses anciens partenaires socialistes, vers l'Occident européen démontre bien cette dynamique. Cet intérêt est aussi partagé par les occidentaux  ; le Fond Monétaire International débloque 2.6 milliards de dollars d'aide économique peu après le début du conflit... Cette aide au départ avait sans  doute été retardée dans le but de modérer les réactions des dirigeants russes. Pour les occidentaux, la stabilité sociopolitique de la Russie est cependant une nécessité géopolitique ; elle vise à constituer un pôle de sécurité capable de prévenir les déstabilisations de l'Asie Centrale.
Les organismes internationaux que nous avons vu s'activer dans le cadre balkanique ont donc indirectement préservé les intérêts économiques des "centres euro-américains" dans la région, même si la nécessité de leur action est indiscutable sur le fond. Par ailleurs, la prépondérance de l'OTAN a été réaffirmée comme clé de la sécurité en Europe dans un contexte quelque peu différent de celui de la guerre froide qui en avait motivé la création. Ce constat est lourd de conséquences qui vont sans doute peser dans la rivalité entre l'Union Européenne et les Etats-Unis. Beaucoup de voix se font entendre en Europe qui demandent l'instauration concrète d'une politique étrangère commune et d'une force d'intervention suffisamment puissante.
Il ne faut cependant pas diaboliser les Etats-Unis, car l'Union Européenne a également pu trouver des intérêts dans le conflit du Kosovo. En effet, n'étant pas intégrée au système européen, la Yougoslavie coupe l'axe sud européen, enclavant la Grèce en zone périphérique. Si le pouvoir en place à Belgrade vient à disparaître, et si le nationalisme serbe ne renaît pas de ses cendres, c'est pour l'intégration à l'Europe, ou au modèle européen, que pourra opter la Yougoslavie, sortant par là de son isolationnisme traditionnel. Compte tenu des destructions infligées aux infrastructures civiles et à l'appareil industriel serbe, les besoins de reconstruction vont être tels que seules les puissances disposant d'importants outils de production (soit quasiment l'ensemble des pays impliqués dans ce conflit) seront à même d'assumer les grands travaux de reconstruction. Nous entendons déjà parler d'un besoin approximatif de 115 milliards de FF ! Reste cyniquement à savoir si l'importance des contrats signés sera proportionnelle aux forces militaires déployées, et si elle sera à la mesure des intérêts de chacun des protagonistes impliqués dans le conflit.
La mobilité des hommes et des capitaux remet en cause la logique territoriale sur laquelle reposent nos sociétés. Ce mouvement de fond, un moment retardé par la confrontation Est/Ouest, produit maintenant tous ses effets… L'ancien choc entre l'Orient et l'Occident qui avait élu domicile dans les Balkans a malheureusement trouvé une nouvelle réalité.

Jules Renaud et David Tricot

Pour creuser un peu le sujet :

- M.F. Durand, J. Lévy, D. Retaillé, Le Monde Espaces et Systèmes, Paris, Dalloz, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1993.
- Joseph Frulic,
Histoire de la Yougoslavie de 1945 à nos jours, Bruxelles, éd. Complexe, « Questions du vingtième siècle », 1993.
- Cahiers français, n° 292, mars-avril 1999, « 
Les Conflits dans le Monde », la documentation française.
-
Le Courrier international, >n° 439, « Kosovo, une si mauvaise guerre », pp. 34-42 ; n° 440, « Kosovo, les visées américaines sur les Balkans », pp. 66-69 ; n° 444, « Kosovo : scénarios pour une fin de guerre », pp. 40-46.

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