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Historiquement, il n'échappe à personne que depuis la chute de Constantinople, les frictions entre Orient et Occident se sont déplacées et installées dans la réalité humaine des Balkans entre slaves et musulmans. Au début de ce siècle les ambitions de l'Empire Austro-hongrois ont encore précipité dans la guerre la mosaïque de communautés qu'il agrégeait et le reste du monde. Plus tard, lors du second conflit mondial, est apparue la nette opposition des différentes provinces de Yougoslavie au régime nazi ; c'est à l'issue de ce conflit que le communisme impose l'immobilisme forcé, un choix difficilement contestable par tous ceux qui dans cette pseudo-fédération avaient fait serment d'allégeance à Hitler : la Slovénie, et la Croatie (en 1941, Ante Pavelic prend le pouvoir avec le mouvement ultranationaliste des Oustachis). Ainsi, Tito impose une administration communiste centralisée aux différentes provinces, non sans autoritarisme, et positionne la Yougoslavie hors de la sphère rouge des pays de l'Est européen. Vertu apparente de ce communisme non aligné, il n'a pas eu besoin des chars à l'étoile ; son système a certes permis une plus grande ouverture de cet état à l'occident. Mais les différences culturelles restaient vivaces. Les Serbes, par l'étroitesse de leurs relations avec les autres nations slaves, affirmée et proclamée le 8 décembre 1946 à Belgrade, à l'occasion d'un congrès panslave, se sentent clairement inscrits dans la mouvance communiste post-stalinienne. Or, le lien panslaviste est plus net en Serbie que dans toutes les autres républiques fédérales. La langue et la culture russe sont très facilement intégrées dans l'univers historique et culturel serbe. Ce n'est pas le cas en Slovénie et en Croatie qui sont des pays ouvertement plus germanisants. Les langues diffèrent, les aspirations politiques aussi. Le fossé culturel se creuse encore davantage dans le cas de la communauté albanaise qui est la seule communauté non slave majoritaire dans un état de la fédération. Les Kosovars assument un héritage turc et son appartenance ouverte au monde méditerranéen. La Yougoslavie des années cinquante est à l'évidence une mosaïque de peuples culturellement assez éloignés. Mais ce qui a, aussi semble-t-il, permis une relative cohésion au sein de cette fédération, ce sont les fruits de la nouvelle donne économique mondiale, de plus en plus dépendante de la fluctuation des cours des matières premières fossiles. C'est ce que résume l'esprit des 30 glorieuses. A l'Est, le soutien du Grand Frère soviétique était notamment rendu possible par sa richesse pétrolière. A l'Ouest, les pays européens, à qui Belgrade avait acheté des unités de production de biens consommables " clés en main ", offraient des débouchés substantiels grâce à leur forte expansion économique. Ainsi, malgré des divergences latentes au sein de chaque province, le système socio-économique s'est globalement trouvé renforcé par le plein emploi et des perspectives économiques jugées alors stables. En 1974, les nations occidentales connaissent leur plus dure crise économique de l'après-guerre (conséquence du 1er choc pétrolier), alors que la consommation s'est stabilisée dès la fin des années soixante et au cours des années 70. L'Europe occidentale ne peut alors plus absorber la production yougoslave qui lui était dédiée et une fermeture économique des marchés se manifeste. Elle se traduit très vite en contestation sociale. A la mort de Tito en 80, cette contestation trouve un terrain politique dans les revendications des provinces. Les barons régionaux commencent à vouloir réorganiser les institutions en faveur d'une plus large autonomie. Belgrade réagit en renforçant le pouvoir central. De plus en plus d'administrateurs sont remplacés aux postes clés, en Slovénie, Bosnie-Herzegovine, Kosovo et Croatie, par des serbes fidèles au président yougoslave. Dans ces provinces, la classe dominante crée progressivement des conflits internes, au Kosovo notamment, avec la majorité régionale, plus pauvre. A la fin des années 80, la crise sociale est à son comble sur fond de débâcle économique : plus de 20% de chômeurs, une hyperinflation de l'ordre de 1200% en 89, et de 600% en 90 ! En 91, les premiers conflits armés éclatent... L'obstination du pouvoir serbe cristallise l'idée d'un Etat-nation en réaction contre l'éclatement inexorable du patchwork culturel et économique. La mondialisation, les interactions du système Europe, semblent manifester l'évolution naturelle des régions opposées aux régimes géopolitiques des Etats-nations. La Slovénie, par exemple, a hérité d'échanges à la fois culturels et économiques privilégiés avec l'Autriche et l'Allemagne. Cette situation était compatible avec les stratégies économiques appliquées par Tito pendant les périodes d'abondance ; mais tel ne fût à l'évidence pas le cas dans un contexte de crise toujours plus fort. Les seuls tissus économiques constitués et stables qui ont survécu à l'éclatement de la Yougoslavie, sont de fait davantage les peuples de la Yougoslavie, Slovènes, Croates, Kosovars, que les nomenclatures politiques hérités de Tito. C'est sans doute le premier facteur d'un nationalisme issu de la confrontation entre une idée du peuple solide, et une idée de la nation obsolète…. Le rendu concret de cette instabilité économique remet en question le système tout entier. Viennent alors naturellement des revendications régionales correspondant aux seules réalités humaines encore vécues. Les positions des différents acteurs du système yougoslave sont donc relativement claires dans ce conflit. Qu'en est-il des autres acteurs ? Le système monde, composé de sous-systèmes régionaux (groupes de pays associés pour des intérêts économique collectifs) interreliés par les réseaux internationaux de finance et de communication, a poussé l'analyse vers une dimension macrocosmique ou elle impose une logique systémique. Ce processus à été au départ marqué par la formation d'une structure bipolaire articulée sur deux centres majeurs : Amérique du Nord (Etats Unis principalement), et Europe de l'Est (URSS), ainsi que plusieurs autres centres secondaires périphériques tels que l'Europe Nord Occidentale (axe Londres, Paris, Bonn), l'Asie du Sud Est (Japon), l'Océanie (Australie, Nouvelle Zélande), et les pays de l'OPEP. Sur le plan de l'internationalisation des institutions politiques, suite à la faillite de la Société Des Nations (crée en 1919) dans la prévention des conflits, l'après seconde guerre mondiale voit la création de l'Organisation des Nations Unies (le 26 juin 1945, signature à San Francisco de la Charte des Nations Unies par 50 états ; en 1994, l'ONU en compte 184). Ce nouvel organe politique dispose théoriquement d'un exécutif, et, au terme de la résolution du 3 novembre 1950, d'une force d'urgence (les casques bleus) chargée de missions visant au maintient de la paix, comme on peut le vérifier en Bosnie Herzégovine, et dans d'autres régions du monde. Cependant, la victoire sur l'Allemagne en 1945 induit une profonde fracture au cour même de l'Europe, fortement symbolisée par le rideau de fer, et conditionnée de façon idéologique par les deux grandes puissances issues de la guerre :
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